À l’occasion de prospections réalisées fin mai 2021 dans les étangs de Diana, Urbinu et Balistra, une équipe de scientifiques de l’Institut Océanographique Paul Ricard a pu dresser un premier bilan de la survivance de la grande nacre, Pinna nobilis, espèce protégée emblématique et endémique de Méditerranée. Le constat est prometteur.
Depuis 2016, la grande nacre P. nobilis, est victime d’une épizootie (parasitose liée à un Haplosporidium), généralisée à l’ensemble du bassin méditerranéen, provoquant une mortalité massive. Protégée au niveau européen depuis 1992 (directive 92/43/CEE), l’espèce a récemment été reconnue et classée « en danger critique d’extinction » sur la liste rouge mondiale des espèces menacées de l’UICN**. l’espèce, au bord de l’extinction, semble trouver refuge dans certaines lagunes littorales, notamment en Corse.
En Corse, les premiers cas de mortalité ont été signalés en 2017, dans le secteur d’Ajaccio, et fin 2018 dans la Réserve Naturelle de Scandula, où tous les individus connus ont été décimés. Actuellement, certaines populations non affectées par ce parasite sont observées dans des lagunes méditerranéennes. Dans ce contexte de pandémie, et afin de dresser un premier bilan dans ce qui pourrait constituer des zones « refuges », une campagne d’observation a été réalisée du 24 au 28 mai 2021 au sein de populations, pour certaines déjà suivies auparavant, dans les étangs de Diana, Urbinu et Balistra.
Concernant l’étang de Balistra, la prospection a confirmé l’absence d’individus vivants sur le secteur connu à l’Est de l’étang. Aucune nacre vivante, ni recrutement récent de juvéniles n’ont pu y être observés. Seuls quatre individus morts (morts anciennes) déjà signalés par l’association « Corse images sous-marines » au printemps 2020, ont été retrouvés.
Les observations réalisées dans l’étang d’Urbinu (grâce à l’autorisation et au soutien logistique du Conservatoire du Littoral), ont permis d’identifier, le long du lido au sud du grau (actuellement fermé), 2 champs de vieilles nacres, toutes mortes depuis plusieurs années. Un seul individu adulte vivant (d’une hauteur totale d’environ 40 cm) a été observé au nord du grau. Dans ce secteur, le vaste et dense herbier de cymodocées était partiellement recouvert d’un épais tapis d’algues filamenteuses du genre Cladophora, ce qui a nettement compliqué la détection d’éventuels individus juvéniles et sub-adultes installés dans l’herbier sous-jacent. Un retour sur site en automne ou plus tôt dans la saison (quand l’algue est absente), permettra de préciser ces observations. De même, de nouvelles prospections seront réalisées dans des secteurs éloignés du grau, pour affiner l’état des lieux dans cette lagune au très fort potentiel de refuge pour la grande nacre.
Dans l’étang de Diana, la présence de populations de grandes nacres est connue depuis 1990 grâce notamment aux travaux de Béatrice de Gaulejac et Nardo Vicente. En 2019, lors d’une mission de chercheurs de l’IOPR, les densités observées sur un site unique étaient toujours importantes (environ 8 nacres/100m²). Les nouvelles prospections réalisées dans plusieurs stations (dont celle de 2019), permettent de dresser un nouveau bilan pour cette lagune.
Ainsi, grâce à l’accueil chaleureux et au soutien technique de M. Pantalacci et de ses employés (SARL étang de Diana), l’équipe de l’IOPR a pu mener les actions suivantes :
Des transects (surface observée de 50 m de long x 2m de large x 2) réalisés sur une première station, ont permis d’observer 29 individus vivants (juvéniles et sub-adultes), dont 9 individus marqués, et une densité estimée à 5 individus/100m² ;
Dans une 2ème station, 2 transects supplémentaires ont été réalisés au sein d’une population de vieilles nacres mortes (morts anciennes), et un capteur larvaire a été installé au sud de l’étang ;
L’équipe a également pu retrouver la station étudiée en 2019, où un 2ème capteur larvaire a pu être installé, et où 8 individus vivants ont été marqués, au sein d’une population assez dense de juvéniles et de sub-adultes vivants (jusqu’à 3 individus/m² par endroit). Des échantillonnages millimétriques de manteau ont été réalisés sur 10 individus à l’aide d’une pince à biopsie (technique inoffensive pour les individus échantillonnés). Ces prélèvements serviront à réaliser des études génétiques pour comparaison avec d’autres populations de mer ouverte ou d’autres lagunes, et à la détection éventuelle du parasite. À ce sujet, des prélèvements de sédiments ont également été réalisés afin d’y tester la présence éventuelle du parasite, par la mise en œuvre de techniques de biologie moléculaire ;
Enfin, une prospection rapide au nord de la ferme conchylicole située en rive ouest, a permis d’observer un champ relique d’une soixantaine de vieilles nacres (toutes mortes depuis plusieurs années), installées dans un herbier dense de Cymodocea nodosa ;
En conclusion, si les inventaires préliminaires, effectués sur les étangs d’Urbinu et de Balistra, se sont révélés pour l’instant peu concluants en terme de populations vivantes et recrutements récents de jeunes individus (mais qui méritent cependant d’être confirmés sur l’ensemble de ces 2 étangs), le nombre d’individus en bonne santé recensés et âgés d’environ 2 ans dans l’étang de Diana montre qu‘un recrutement récent a eu lieu. Ces constatations redonnent espoir quant au fait que ces lagunes présentent un fort potentiel en termes de poches de résistance et de renouvellement de l’espèce, et de site propice à la réimplantation future de juvéniles, issus des captages larvaires.
*Nardo Vicente, Professeur Émérite de biologie marine à l’université d’Aix-Marseille à l’IMBE et responsable scientifique à l’IOPR ; Robert Bunet, chercheur et directeur scientifique de l’IOPR, et Mathieu Foulquié, ingénieur écologue et photographe spécialisé en milieux marins.
** S’agissant d’une espèce protégée, les activités menées pendant cette mission ont été réalisées sous couvert de l’arrêté préfectoral n° 2B-2020-12-21-008.
En savoir plus :
Nardo Vicente, 2020. La grande nacre de Méditerranée : Pinna nobilis, un coquillage bivalve plein de noblesse. Presses de l’Université de Provence, 152 p.
Contact :
Nardo Vicente : nardo.vicente@sfr.fr
Robert Bunet : robert.bunet@institut-paul-ricard.org