Essentiellement présente dans l’Atlantique tropical occidental, des côtes africaines jusqu’aux Canaries, l’espèce a gagné la Méditerranée en empruntant le détroit de Gibraltar, pour s’installer dans les eaux chaudes du sud de l’Espagne. Elle y est longtemps restée cantonnée. Mais depuis une dizaine d’années, les observations se multiplient, en Corse, sur les côtes continentales françaises, ainsi que dans le bassin oriental méditerranéen.
Plus petite que la grande nacre, plus large, de couleur brunâtre et reconnaissable à l’âge adulte à ses côtes radiales, la nacre épineuse, Pinna rudis, est depuis longtemps « abondante sur les côtes espagnoles, explique le Pr Nardo Vicente, responsable scientifique de l’Institut, où elle est rencontrée avec P. nobilis, constituant de la sorte des populations bien imbriquées ». Sur les côtes françaises, elle n’a commencé à faire son apparition qu’à la fin des années 90, époque où quelques individus ont été repérés dans la Réserve marine de Scandola, et alentour.
Des larves portées par les courants
« La présence en nombre de Pinna rudis sur les côtes espagnoles, depuis le détroit de Gibraltar jusqu’à l’embouchure de l’Ebro, poursuit le spécialiste, laisse à penser que l’espèce est arrivée des côtes atlantiques sous forme de larves portées par le courant de surface entrant en Méditerranée par le détroit ». Une branche de ce courant remonte le long de la côte espagnole et certaines de ces larves ont même réussi à progresser jusqu’à la Costa Brava, où des juvéniles ont été captés à Cadaquès. Une seconde branche du courant fait route quant à elle le long de la côte algérienne, où l’on trouve également Pinna rudis. Une autre remonte vers l’ouest de la Sardaigne et la Corse, ce qui explique sans doute l’arrivée de larves dans la réserve de Scandola. « Mais cet apport, précise Nardo Vicente, doit se faire avec une perte considérable de larves, ce qui expliquerait la présence ponctuelle de cette espèce. Une étude plus fine de la courantologie locale mériterait d’être entreprise. »
Des populations encore dispersées
Les pinnas rudes recensées le sont plutôt sur des fonds coralligènes, jusqu’à une quarantaine de mètres de profondeur, mais certaines s’installent aussi à faible profondeur en lisière des herbiers de posidonie, ou sur des petits fonds rocheux. Mais pour l’instant, même si les observations se multiplient le long de nos côtes, elles restent ponctuelles et sont toujours dispersées. Pour que des populations importantes de nacres épineuses s’installent véritablement sur nos côtes, la dérive des larves ne suffira pas. Il faudrait que l’espèce parvienne à se reproduire sur place, « comme c’était le cas pour P. nobilis, avant l’apparition de l’épizootie, ou qu’un nombre plus important de larves arrivent, portées par les courants, et s’installent dans les zones favorables. Sur la Costa Brava (Tort et al. 1995, Vicente, 1995) des captages larvaires des deux espèces ont eu lieu, et le grossissement des jeunes recrues obtenu dans des paniers suspendus en mer.
Une espèce qui n’est pas touchée par l’épizootie actuelle
« Les populations de Pinna nobilis, rappelle Nardo Vicente, sont décimées depuis l’automne 2016, sur l’ensemble des côtes méditerranéennes par un parasite spécifique Haplosporidium pinnae qui ne semble avoir aucune emprise sur Pinna rudis (Vazquez-Luis et al. 2017). » On pourrait donc imaginer, à la faveur du changement climatique et du réchauffement des eaux, qui semble propice à l’épanouissement de Pinna rudis, que l’espèce s’installe peu à peu sur notre littoral, et finisse par gagner toute la Méditerranée.
Il semblerait aussi, même si les observations et les expérimentations ne sont pas encore suffisantes pour l’affirmer avec certitude, qu’il existe des hybrides entre les deux espèces, qui résisteraient également au parasite dévastateur. Les chercheurs souhaitent maintenant poursuivre leurs investigations dans ce sens, et pratiquer notamment de nouvelles analyses génétiques, après une première analyse de l’ensemble du séquençage du génome de Pinna nobilis obtenue sous la direction du Dr Bunet, directeur de la recherche à l’Institut (Bunet et al. 2020).
Nardo Vicente, Présence de Pinna rudis (Linné,1758) sur les côtes méditerranéennes françaises.
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Photo P. Lelong, les Embiez, 2007. Première observation rapportée sur le littoral provençal, quelques années après celle faite par Nardo Vicente en 2000 dans la réserve de Scandola, en Corse.