En Méditerranée, les herbiers de Posidonie, Posidonia oceanica, sont l’un des écosystèmes les plus importants, en raison des services écosystémiques qu’ils rendent. Ils sont pourtant en régression… Elodie Rouanet, ingénieure de Recherche au GIS Posidonie et coordinatrice du programme CANOPé, nous en présente les enjeux et nous apporte son éclairage sur l’état de santé des herbiers et leur rôle face au changement climatique.
Les herbiers de Posidonie sont-ils particulièrement vulnérables aux changements globaux ?
Le rapport 2019 du GIEC mentionne les herbiers marins (toutes espèces confondues) parmi les écosystèmes les plus exposés aux impacts directs et indirects du changement climatique. Toutefois, dans le cas des herbiers de posidonie, le risque doit être considéré avec prudence.
En effet, si les températures élevées font reculer la posidonie sur les côtes levantines et du sud de la Turquie, elles la favorisent sur les côtes nord, où le froid hivernal constitue le facteur limitant. Certaines fonctions physiologiques de la plante seront affectées positivement comme la reproduction sexuée ou négativement comme la germination des graines. Mais de façon générale, l’élévation de la température le long des littoraux devrait vraisemblablement conduire à un remplacement d’espèces à grande complexité structurelle comme la posidonie par des espèces de complexité plus faible (ex : la cymodocée) et même par des espèces introduites opportunistes (ex : l’halophilia), plutôt qu’à une régression des surfaces d’herbiers de posidonie.
Quant à la montée du niveau de la mer, elle détermine bien sûr la régression des herbiers en limite inférieure, mais aussi leur progression en limite supérieure. Mais lors des cycles de descente lente puis de remontée rapide du niveau de la mer, qui caractérisent le Pléistocène, les herbiers ont toujours suivi la remontée du niveau de la mer, jusqu’à 4 m par siècle.
Les événements extrêmes devraient impacter les herbiers et les récifs barrières de posidonie situés à faible profondeur, notamment du fait de ruissellements importants lors d’épisodes pluvieux extrêmes, provoquant l’érosion ou l’enfouissement des sédiments. L’altération attendue du climat marin entraînera une modification de l’hydrodynamique côtière, en particulier en termes d’intensité et de fréquence de l’action des vagues, avec des conséquences pour les positions des limites supérieure et inférieure des herbiers de posidonie.
L’introduction d’espèces non indigènes causée par les échanges avec le canal de Suez, le transport maritime, l’aquaculture, l’aquariologie mais aussi les arrivées naturelles par le détroit de Gibraltar, est une préoccupation majeure. Actuellement, le bassin occidental de la Méditerranée est moins touché par l’arrivée de ces espèces que ne l’est le bassin oriental, mais le réchauffement climatique devrait amplifier ce phénomène dans les prochaines décennies. Les herbiers et les récifs barrières de posidonie ne sont pas à l’abri de ce phénomène. Ces espèces vont avoir deux types d’impact sur la posidonie : l’herbivorie ou la compétition pour l’habitat.*
Quels sont les services rendus par les herbiers ? Jouent-ils un rôle dans l’atténuation du réchauffement climatique ?
L’herbier de posidonie est un écosystème ingénieur qui joue un rôle majeur dans le fonctionnement des écosystèmes côtiers de par la diversité et l’importance des services rendus. La posidonie est un producteur primaire à la base de nombreuses chaînes alimentaires riches et diversifiées en espèce. Les herbiers constituent des zones d’abris, de nurseries, de frayères et d’habitats pour de nombreuses espèces, y compris d’intérêt halieutique. Cette espèce produit de l’oxygène par la photosynthèse et piège le carbone dans sa matte (enchevêtrement de racines et rhizomes) peu putrescible. La présence des herbiers joue un rôle dans la transparence des eaux par la stabilisation des sédiments et permet de protéger le littoral contre les phénomènes d’érosion.**
L’herbier de posidonie, en séquestrant à long terme du carbone dans sa matte, contribue à atténuer les effets du réchauffement climatique et des rejets anthropiques de CO2. Environ 27 % du carbone total fixé par la posidonie pénètre dans la voie sédimentaire conduisant à la formation, au fil des millénaires, de dépôts hautement organiques, riches en carbone réfractaire. On estime que la quantité de ce carbone stocké à l’échelle méditerranéenne, représenterait 11 à 42 % des émissions de CO2 produites par les pays riverains depuis le début de la révolution industrielle. On comprend donc que la destruction de la matte (par les ancrages, le chalutage en particulier) renverra le carbone stocké pendant des millénaires dans l’environnement sous forme de dioxyde de carbone, ce qui accélérera le changement climatique de la même manière que les combustibles fossiles. La plus grande valeur de l’écosystème de posidonie, dans le contexte de l’atténuation du changement climatique mondial, est liée à ce vaste stock de carbone à long terme accumulé au cours des millénaires, et par conséquent, des efforts doivent être concentrés sur la préservation des herbiers pour conserver ce réservoir intact.***
Quels étaient les objectifs du projet de recherche CANOPé qui s’est achevé en novembre 2020 ?
CANOPé est un projet de recherche pluridisciplinaire sur les récifs de posidonie, qui sont des formations bioconstruites de posidonie, analogues aux récifs coralliens. Il s’agit de structures morphologiques particulières des herbiers de posidonie, considérées comme de véritables monuments patrimoniaux naturels. Nous disposions jusqu’alors de peu d’informations sur leur répartition, leurs fonctions écologiques (rôles d’abri, de nurserie) et leur rôle dans les interactions hydrodynamiques (protection contre l’érosion côtière). Le projet CANOPé a permis de faire un point sur ces questions. Soixante-quinze formations récifales ont ainsi pu être identifiées en Méditerranée française par le passé et aujourd’hui, dont 13 ont été détruites essentiellement par des aménagements côtiers (remblais, plages artificielles). De nouveaux récifs et atolls de posidonie ont été répertoriés grâce à CANOPé, ce qui porte le nombre de formations récifales aujourd’hui présentes sur nos côtes à 62 (18 sur le continent et 44 en Corse). Leur rôle de nurserie a été évalué avec une meilleure compréhension de l’utilisation des différentes parties du récif (lagon, front récifal, pente externe) en fonction des espèces et des saisons. Le rôle de barrière naturelle du littoral contre les vagues et les houles a pu être caractérisé. Ces récifs sont situés près du bord dans des zones sollicitées par les activités humaines. Les pressions anthropiques et naturelles qui s’y exercent peuvent être localement fortes. Le projet CANOPé apporte des éléments de connaissance sur la nature, l’intensité et les impacts des pressions sur les récifs de posidonie. Des mesures d’action adaptées et pertinentes pourront être mise en place par les instances publiques. La conservation de ce patrimoine naturel unique doit faire l’objet d’une attention particulière dans le contexte du changement climatique, où ces formations apparaissent particulièrement vulnérables tant au niveau de leur résilience que de leurs fonctionnalités.
*Références :
Boudouresque C.F., Verlaque M., 2012. An overview of species introduction and invasion processes in marine and coastal lagoon habitats. Cahiers de Biologie Marine, 53 (3) : 309-317.
Boudouresque C.F., Bernard G., Pergent G., Shili A., Verlaque M., 2009. Regression of Mediterranean Seagrasses caused by natural processes and anthropogenic disturbances and stress: a critical review. Botanica Marina, 52 : 395-418.
Collina-Girard J., 2003. La transgression finiglaciaire, l’archéologie et les textes (exemple de la grotte Cosquer et du mythe de l’Atlantide). In: Human records of recent geological evolution in the Mediterranean basin – historical and archeological evidence. CIESM Workshop monographs 24, CIESM publ., Monaco : 63-70.
IPCC, 2019. Technical Summary [Pörtner H.-O., Roberts D.C., Masson-Delmotte V., Zhai P., Poloczanska E., Mintenbeck K., Tignor M., Alegría A., Nicolai M., Okem A., Petzold J., Rama B., Weyer N.M. (eds.)]. In: IPCC Special Report on the Ocean and Cryosphere in a Changing Climate [Pörtner H.- O., Roberts D.C., Masson-Delmotte V., Zhai P., Tignor M., Poloczanska E., Mintenbeck K., Alegría A., Nicolai M., Okem A., Petzold J., Rama B., Weyer N.M. (eds.)]. In press.
Vacchi M., Montefalcone M., Bianchi C.N., Morri C., Ferrari M., 2010. The influence of coastal dynamics on the upper limit of the Posidonia oceanica meadow. Marine Ecology – an Evolutionary Perspective, 31 (4) : 546-554.
**Références :
Boudouresque C.F., Bernard G., Bonhomme P., Charbonnel E., Diviacco G., Meinesz A., Pergent G., Pergent-Martini C., Ruitton S., Tunesi L., 2006. Préservation et conservation des herbiers à Posidonia oceanica. Ramoge publ., Monaco, 1-200.
Vacchi M., Montefalcone M., Schiaffino C. F., Parravicini V., Bianchi C. N., Morri C., Ferrari M., 2014. Towards a predictive model to assess the natural position of the Posidonia oceanica seagrass meadows upper limit. Marine Pollution Bulletin, 83 (2) : 458-466.
***Références :
Pergent G., Bazairi H., Bianchi C.N., Boudouresque C.F., Buia M.C., Calvo S., Clabaut P., Harmelin-Vivien M., Mateo M.A., Montefalcone M., Morri C., Orfanidis S., Pergent – Martini C., Semroud R., Serrano O., Thibaut T., Tomasello T., Verlaque M., 2014. Climate change and Mediterranean seagrass meadows: a synopsis for environmental managers. Mediterranean Marine Science, 15 (2) : 462-473.